Cette année, Jan dau Melhau était l'auteur invité de la Dictée occitane de Limoges. Voix occitane du Limousin, Jan dau Melhau écrit, conte, chante… depuis plus de 40 ans. Il a, par son travail infatigable au sein de sa maison d’édition Lo Chamin de sent Jaume, permis la diffusion d’œuvres majeures de la littérature occitane, en particulier celle de Marcela Delpastre.
C’est l’homme de spectacle et le chansonnier aux textes percutants que cette 8e dictée a fait (re-)découvrir.
Vous trouverez ci-dessous de quoi (re-)faire la Dictée et la correction expliquée par Jean-François Vignaud.
Pour revoir les règles d'écriture avant de commencer, c'est là.
La Dictée des grands : « An barrat l'escòla »
Cette première dictée était une chanson extraite du dernier spectacle et disque de Jan dau Melhau : « Au naissent d’un trobaire » : las prumieras chançons 1972-1974, où il est accompagné à la guitare par Frédéric Chabalier et Marianne Tixeuil.
Deux, trois mots pour aider ceux qui auraient quelques difficultés (ou les oreilles un peu bouchées), les autres, vous n'avez qu'à fermer les yeux (lecture Jean-François Vignaud) :
- Roier: Royer de Meuzac.
- Enfonilh : entonnoir (olheta).
- Au chap : au bout.
- Na sepalha : une troupe.
Correction :
An barrat l’escòla, ‘quo es tant mielhs, l-i fasian res,
- An : (ilhs) an. Dans la majorité des parlers occitans, on ne met pas les pronoms personnels.
- Barrat : participe passé du verbe barrar (avec deux –r- ).
- ’Quò : ça, cela. Aphérèse du a- de aquò.
- ’Quò es : c’est. En Haut-Limousin la forme majoritaire est contractée en ’qu’es/qu’es.
- Mielhs : mieux. Prononcé [miéi] / [mièr].
- L-i : y. On peut aussi l'écrire l’i. Différent de « li » qui veut dire « lui » : « Fau li dire de l-i/l’i ’nar ».
- Fasiam : -m final, marque de la première personne du pluriel.
- Res : aucune chose, rien. Autre forme : ren. Latin res (accusatiu : rem)
L-i apreniam ‘na lenga per segur parlar d’aures.
- Apreniam : verbe aprener à l'imparfait (1ère personne du pluriel).
- ’Na : aphérèse du u- de una.
- Lenga : ou linga.
- Segur : sûr, sûrement.
- Aures : autre chose. La forme graphique auren se trouve aussi. D’autres diront « quauqua-res/ren mai ».
De tristas babòias semblen los regents,
Mans lenas, peu blancha, ‘quo es de crana gent.
- Babòia : statue, mannequin, personne à l’air niais et ahuri.
- Semblen : -n final, marque de la 3ème personne du pluriel. Verbe semblar (ressembler) : « semblar son pair ».
- Regent(a) : ou institutor.
- Man : main (latin manu).
- Len(e)/lena : doux, lisse, soyeux : « aver lo piau len ». Se dit également d’un fruit blet « ’na pera lena ». Cf. la fontaine d'Aigoulène à Limoges = la font d’Aiga-Lena.
- Crane (a) : fier, beau, élégant.
- Gent : singulier à valeur collective. Cf. « Lo monde son bien fins » / « La gent son tan adrechs ».
Lo grand solelh que raia enlai a Roier...
Las letras s’esbadalhen dins los libres…
- Raia : verbe raiar, briller. On peut aussi marquer la tonique en ajoutant un accent « ràia ».
- Enlai : là-bas. La forme en-lai peut se trouver.
- Roier : Royer de Meuzac. De l’occitan « rover » (le chêne).
- S’esbadalhar : bâiller. Dérivé du verbe badar qui veut dire tant de choses qui se font la gorge ouverte.
An barrat l’escòla, ‘quo es tant mielhs, l-i fasian res,
L’i apreniam ‘n’istòria, mas l’autra, ‘quela daus reis :
Charles que manhava tots ‘quilhs Sarrasins,
Rolland que bufava dins son enfonilh.
Lo grand solelh que raia enlai a Roier...
Las letras se permenen dins los libres...
- ’N’istòria : aphérèse et apocope du u- et du –a de una.
- ’Quela : aphérèse du a- de aquela.
- Manhava : verbe manhar / maniar : toucher, tâter, s’occuper de, tromper au jeu…
- ’Quilhs : aphérèse du a- de aquilhs.
- Enfonilh : entonnoir (olheta), trompe, olifant.
An barrat l’escòla, ‘quo es tant mielhs, l-i fasian res,
L’i apreniam dau monde qu’eran plan lonh de n’autres :
Lo monsur de vila, crebata, chapeu ;
La dama d’egleisa, seda, fina peu.
Lo grand solelh que raia enlai a Roier…
Las letras se banturlen dins los libres…
- Lonh : ou loenh
- N’autres : contraction de nosautres. Se trouve aussi écrit nautres.
- Monsur : parfois écrit « mossur ».
- Crebata : ou cravata.
- Seda : soie.
- Banturlen : verbe banturlar : flâner, « jouir à perdre son temps ».
An barrat l’escòla, era au chap dau chamin,
Los suchons, la biaça, ‘na sepalha de petits.
An dreibit ‘n’escòla enlai dins lo borg,
Lo car l’i nos mena, vesem pus lo jorn.
Lo grand solelh que raia enlai a Roier…
Las letras an disparegut daus libres.
- Au chap : au bout (latin : caput). A chap de : à force de : « A chap de pitits còps ».
- Los suchons : les sabots (los sòcs).
- La biaça : la besace.
- ’Na sepalha : une troupe.
- Petit(a) : ou pitit/pi’ta.
- Dreibit : verbe dreibir. Autres formes : deibrir, dubrir, drubir…
Traduccion :
On a fermé l’école, c’est tant mieux, on y faisait rien, / On y apprenait une langue pour assurément parler d’autre chose. / De tristes figures semblent les instituteurs, / Mains lisses, peau blanche, ce sont de sacrés gens. / Le grand soleil qui brille là-bas à Royer… / Les lettres baillent dans les livres… / On a fermé l’école, c’est tant mieux, on y faisait rien, / On y apprenait une histoire, mais l’autre, celle des rois : / Charles qui baisait tous ces Sarrazins, / Roland qui soufflait dans son entonnoir. / Le grand soleil qui brille là-bas à Royer… / Les lettres se promènent dans les livres… / On a fermé l’école, c’est tant mieux, on y faisait rien, / On y apprenait des gens qui était bien loin de nous : / Le monsieur de ville, cravate, chapeau ; / La dame d’église, soie, fine peau. / Le grand soleil qui brille là-bas à Royer… / Les lettres flânent dans les livres… / On a fermé l’école, elle était au bout du chemin, / Les sabots, la musette, une troupe de gamins. / On a ouvert une école là-bas dans le bourg, / Le car nous y amène, on ne voit plus le jour. / Le grand soleil qui brille là-bas à Royer… / Les lettres ont disparu des livres.
La Dictée des enfants : « La Sent Jan »
On connaît moins ces jolies chansons pour enfants que composa Melhau dans les années 70, dont certains parurent à l'époque sur un 45 tours accompagné d'un livret, « En tu segre los jorns » : chançons per pitits e meitat-beus, à Ad’oc edicion.
En voilà une pour fêter l'été (lecture Jean-François Vignaud) :
Correction :
Aüei qu’es la granda festa, granda festa de l’estiu.
Lo solelh se vi, se visa dins la glaça, lo solelh se creu, se creu com’ un vielh peulh.Lo ganhon met sa bretela, lo ganhon fai sa pluma,
Lo ganhon se vi, se visa dins la glaça, lo ganhon se creu, se creu com’ un vielh peulh.
Lo vedeu pren sa crebata, lo vedeu fai sa brena
Lo vedeu se vi, se visa dins la glaça, lo vedeu se creu, se creu com’ un vielh peulh.Lo chavau bota sa blauda, lo chavau fai lo monsur
Lo chavau se vi, se visa dins la glaça, lo chavau se creu, se creu com’ un vielh peulh.Quand tot lo monde son prestes, li vam tots lambar lo fuec.
E la nuech se vi, se visa dins la glaça, e la nuech se creu, se creu com’ un vielh peulh.
Traduccion :
Aujourd’hui, c’est la grande fête, grande fête de l’été / Le soleil se regarde dans la glace, le soleil se croit, se croit comme un vieux pou. / Le cochon met sa bretelle, le cochon fait sa plume… / Le veau prend sa cravate, le veau fait l’important… / Le cheval met sa blouse, le cheval fait le monsieur… / Quand tout le monde est prêt, on y va tous sauter le feu. / Et la nuit se regarde dans la glace…