Un excellent recueil de poésie vient de paraître en occitan limousin avec traduction en regard : A Chara o crotz – À Pile ou face – composé par une jeune auteure : Cecila Chapduelh. Il est illustré par de belles gravures de Jan-Marc Simeonin. Un vrai régal : Cecila déploie une poésie musicale, qui fait chanter la langue en vers comptés et rimés, exploite des modèles anciens, se montre volontiers proverbiale. Mais il n’y a rien là de compassé, rien de vieillot, de suranné ; tout au contraire, sa poésie est d’aujourd’hui, pour aujourd’hui, jeune, fraîche, souvent légère, primesautière et, peut-être surtout, sensible, sensuelle voire, à l’occasion, franchement érotique.
Toutes ces qualités se déclinent au féminin (« Nascuda dròlla, femna sei ») ; cette poésie est résolument féminine (et si l’on veut féministe, car il y est bien question « d’egalitat »), elle est celle d’une jeune femme qui, entre autres choses, aime les hommes et sait le dire. Soit, à propos de la beauté masculine : « Quala beutat lo deser me balha / De ninar a l’entorn de sa talha / Per trobar un balanç perpetuau / Me far genta delai tot naturau » (« Quelle est la beauté qui me donne le désir/ de me balancer autour de sa taille/ À la recherche d’un mouvement perpétuel »). Cecila rajeunit le vénérable genre de la tenson (la joute poétique des troubadours) en disputant de la grande question : faut-il aimer un jeune ou bien un vieux ? (« Qué me balhará jòia d’aimar mielhs ? / Jòune fringaire o fier òme vielh ? »). L’échange fictif entre trois « trobairitz » est fort déluré et la conclusion en fâchera plus d’un : « Jòune marit per ensemble vielhir ; / Emb d’autres galants au dever falhir » : « Jeune mari pour vieillir ensemble ; / Avec d’autres galants faillir à mon devoir » ! La liberté de mœurs et les vertus de l’inconstance prennent la forme du proverbe et du dicton : « D’un amor que vira redond, disen la gent, remuda-te donc » (« D’un amour qui tourne en rond, disent les gens, il faut bouger ») ; « Entau d’aqueu tròp amorós ; chaba per portar desgost. » (ainsi de celui trop amoureux ; il finit par donner du dégoût »)…
Pour conclure, et inviter le lecteur à trouver le livre, je donnerai un court poème, tout entier, mais sans traduction : son titre est A prestir (A pétrir)
Ses pestor
Tas mans me fan
Sus mon còrs
Terren de juec
Saborós per l’amor
De sas milantas possibilitats
Un pauc mai que sus lo teu, benleu
De ton còrs d’òme
Alaidonc me laisse
Fai-me femna/ Fai-me
EAN 9782913238602
A chara o crotz, Cecila Chapduelh, Éditions Lo Chamin de Sent Jaume, 2015, 107 p., 14,5 x 21,5 cm, 14,00 €.